mercredi 28 mars 2012

Réjean Ducharme


Né le 12 août 1941 à Saint Félix de Valois, Réjean Ducharme est un artiste québécois très secret et c'est le moins que l'on puisse dire.
Il n'existe que deux photographies de cet écrivain, dramaturge, scénariste et sculpteur dont on ne connait strictement rien de la vie personnelle.
C'est dès 1966 qu'il connait le succès avec son roman "L'Avalée des Avalés".
Contrairement à ses collègues de l'époque, Ducharme n'écrit pas en joual mais par une invention langagière et une poétique remarquables, il dépeint un monde marqué par l'enfance qui se défie des adultes et poursuit ses rêves en dépit d'eux.

Le début de "L'Avalée des Avalés"


Tout m'avale. Quand j'ai les yeux fermés, c'est par mon ventre que je suis avalée, c'est dans mon ventre que j'étouffe. Quand j'ai les yeux ouverts, c'est par ce que je vois que je suis avalée, c'est dans le ventre de ce que je vois que je suffoque. Je suis avalée par le fleuve trop grand, par le ciel trop haut, par les fleurs trop fragiles, par les papillons trop craintifs, par le visage trop beau de ma mère. Le visage de ma mère est beau pour rien. S'il était laid, il serait laid pour rien. Les visages, beaux ou laids, ne servent à rien. On regarde un visage, un papillon, une fleur, et ça nous travaille, puis ça nous irrite. Si on se laisse faire, ça nous désespère. Il ne devrait pas y avoir de visages, de papillons, de fleurs. Que j'aie les yeux ouverts ou fermés, je suis englobée: il n'y a plus assez d'air tout à coup, mon cœur se serre, la peur me saisit.
L'été, les arbres sont habillés. L'hiver, les arbres sont nus comme des vers. Ils disent que les morts mangent les pissenlits par la racine. Le jardinier a trouvé deux vieux tonneaux dans son grenier. Savez-vous ce qu'il en a fait ? Il les a sciés en deux pour en faire quatre seaux. Il en a mis un sur la plage, et trois dans le champ. 
Quand il pleut, la pluie reste prise dedans. Quand ils ont soif, les oiseaux s'arrêtent de voler et viennent y boire.
Je suis seule et j'ai peur. Quand j'ai faim, je mange des pissenlit par la racine et ça se passe. Quand j'ai soif, je plonge mon visage dans l'un des seaux et j'aspire. Mes cheveux déboulent dans l'eau. J'aspire et ça se passe : je n'ai plus soif, c'est comme si je n'avais jamais eu soif. On aimerait avoir aussi soif qu'il y a d'eau dans le fleuve. Mais on boit un verre d'eau et on n'a plus soif. L'hiver, quand j'ai froid, je rentre et je mets mon gros chandail bleu. Je ressors, je recommence à jouer dans la neige, et je n'ai plus froid. L'été, quand j'ai chaud, j'enlève ma robe. Ma robe ne me colle plus à la peau et je suis bien, et je me mets à courir. On court dans le sable. On court, on court. Puis on a moins envie de courir. On est ennuyé de courir. On s'arrête, on s'assoit et on s'enterre les jambes. On se couche et on s'enterre tout le corps. Puis on est fatigué de jouer dans le sable. On ne sait plus quoi faire. On regarde, tout autour comme si on cherchait. On ne voit rien de bon. Si on fait attention quand on regarde comme ça, on s'aperçoit que ce qu'on regarde nous fait mal...



Il est également le scénariste de deux longs métrages pour le réalisateur Francis Mankiewicz, "Les beaux Souvenirs" et surtout "Les Bons Débarras"


Réjean Ducharme est aussi sculpteur sous le nom de Roch Plante

Lapireaffaire

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