Simone Schwartz-Bart, est née le 1er août 1938 à Saintes, (Charente Maritime) de parents guadeloupéens, mais c'est à Pointe-à-Pitre où elle rentre à l'âge de 3 ans qu'elle suit ses études.
A 18 ans, étudiante à Paris, elle fait la rencontre de sa vie :
André Schwartz-Bart -
Prix Goncourt 1959 pour
"Le Dernier des Justes".
C'est lui qui, présentant son talent, l'incitera à écrire.
Ils publient à quatre mains
"Un plat de Porc aux Bananes Vertes" en 1967.
Mais c'est en 1972 que
Simone publie ce qui est aujourd'hui considéré comme une des oeuvres majeures de la culture antillaise (anglo et francophone confondues),
"Pluie et Vent sur Télumée Miracle".
Si je précise "aujourd'hui" c'est qu'à sa sortie, le roman, finaliste de TOUS les grands prix littéraires, n'en obtint aucun...
Le quatrième de couverture nous dit ceci :
Télumée, paysanne de la Guadeloupe, a vécu sans doute du début du siècle
à ces dernières années. Les formes de la vie familiale ayant été
détruites par l'esclavage, l'enfant Télumée a été élevée par sa
grand-mère, « haute négresse » justement nommée la Reine Sans Nom. Toute
sa`vie, Télumée essaiera de continuer cette lignée de femmes «
talentueuses, de vraies négresses à deux coeurs, et qui ont décidé que
la vie ne les ferait pas passer par quatre chemins ». Négresse, certes,
mais femme universelle en qui toutes peuvent se reconnaître, Télumée a
souffert dans sa condition de femme, de Noire et d'exploitée. Pourtant
sa volonté de bonheur, de "récolter par pleins paniers cette douceur qui
tombe du ciel », est la plus forte, soit en compagnie d'Elie, soit aux
côtés d'Amboise, le révolté. Quand Télumée mourra: « Je mourrai là comme
je suis, debout, dans mon petit jardin, quelle joie... »
Voici l'univers des Antilles, avec ses couleurs, ses odeurs, sa vérité
secrète, livré pour la première fois par une romancière qui s'approprie
la langue française pour la soumettre à la musique noire.
Mais pour mieux se convaincre de la beauté de la langue de
Simone Schwartz-Bart, en voici le début :
"Ainsi rêvant, le soir descend sans que je m'en aperçoive, et, assise
sur mon petit banc d'ancienne, je lève soudain la tête, troublée par la
phosphorescence de certaines étoiles. Des nuages vont et viennent, une
clarté s'élève et puis disparaît, et je me sens impuissante, déplacée,
sans aucune raison d'être parmi ces arbres, ce vent, ces nuages. Quelque
part, depuis le fond de la nuit, s'élèvent les notes discordantes,
toujours les mêmes, d'une flûte, et qui bientôt s'éloignent, s'apaisent.
Alors je songe non pas à la mort, mais aux vivants en allés, et
j'entends le timbre de leurs voix, et il me semble discerner les nuances
diverses de leurs vies, les teintes qu'elles ont eues, jaunes, bleues,
roses ou noires, couleurs passées, mêlées, lointaines, et je cherche moi
aussi le fil de ma vie. J'entends les paroles, les éclats de rire de
man Cia là-bas au milieu de ses bois, et je pense à ce qu'il en est de
l'injustice sur la terre, et de nous autres en train de souffrir, de
mourir silencieusement de l'esclavage après qu'il soit fini, oublié.
J'essaye, j'essaye toutes les nuits, et je n'arrive pas à comprendre
comment tout cela a pu commencer, comment cela a pu continuer, comment
cela peut durer encore, dans notre âme tourmentée, indécise, en lambeaux
et qui sera notre dernière prison. Parfois mon coeur se fêle et je me
demande si nous sommes des hommes, parce que, si nous étions des hommes,
on ne nous aurait pas traités ainsi, peut-être. Alors je me lève,
j'allume ma lanterne de clair de lune et je regarde à travers les
ténèbres du passé, le marché, le marché où ils se tiennent, et je
soulève la lanterne pour chercher le visage de mon ancêtre, et tous les
visages sont les mêmes et ils sont tous miens, et je continue à chercher
et je tourne autour d'eux jusqu'à ce qu'ils soient tous achetés,
saignants, écartelés, seuls. Je promène ma lanterne dans chaque coin
d'ombre, je fais le tour de ce singulier marché, et je vois que nous
avons reçu comme don du ciel d'avoir eu la tête plongée, maintenue dans
l'eau trouble du mépris, de la cruauté, de la mesquinerie et de la
délation.
Mais je vois aussi, je vois que nous ne nous y sommes pas
noyés...nous avons lutté pour naître, et nous avons lutté pour
renaître...et nous avons appelé "Résolu" le plus bel arbre de nos
forêts, le plus solide, le plus recherché et celui qu'on abat le plus...
Ainsi
vont mes pensées, mes rêveries d'ancienne, tandis que la nuit s'écoule
doucement sur mes chimères, et puis reflue avec le premier chant d'un
coq. Alors je me remue sur mon petit banc, je secoue les perles de
rosée, je vais au petit tonneau qui donne sous la gouttière et les mains
réunies en creux, je remue un peu d'eau dans ma bouche, pour laver
toutes les songeries de la nuit...
La nuit est vraiment, vraiment
surprenante... Vous avez tiré votre barque sur la grève, l'avez enlisée
en plein sable et si tombe un rayon de soleil, vous ressentez de la
chaleur, et si l'on pique ce vieux bout de bois sec, du sang perle,
encore..."
...
Le pays dépend bien souvent du cœur de l'homme: il est minuscule si le
cœur est petit, et immense si le cœur est grand. Je n'ai jamais souffert
de l'exiguïté de mon pays, sans pour autant prétendre que j'aie un
grand cœur. Si on m'en donnait le pouvoir, c'est ici même, en
Guadeloupe, que je choisirais de renaître, souffrir et mourir. Pourtant,
il n'y a guère, mes ancêtres furent esclaves en cette île à volcans, à
cyclones et moustiques, à mauvaise mentalité. Mais je ne suis pas venue
sur terre pour soupeser toute la tristesse du monde. A cela, je préfère
rêver, encore et encore, debout au milieu de mon jardin, comme le font
toutes les vieilles de mon âge, jusqu'à ce que la mort me prenne dans
mon rêve, avec toute ma joie...
Dans mon enfance, ma mère Victoire me parlait souvent de mon aïeule, la
négresse Toussine. Elle en parlait avec ferveur et vénération, car,
disait-elle, tout éclairée par son évocation, Toussine était une femme
qui vous aidait à ne pas baisser la tête devant la vie, et rares sont
les personnes à posséder ce don. Ma mère la vénérait tant que j'en étais
venue à considérer Toussine, ma grand-mère, comme un être mythique,
habitant ailleurs que sur terre, si bien que toute vivante elle était
entrée, pour moi, dans la légende.
J'avais pris l'habitude d'appeler ma grand-mère du nom que les hommes
lui avaient donné, Reine Sans Nom; mais de son vrai nom de jeune fille,
elle s'appelait autrefois Toussine Lougandor.
Elle avait eu pour mère la dénommée Minerve, femme chanceuse que
l'abolition de l'esclavage avait libérée d'un maître réputé pour ses
caprices cruels.
et la fin :
Comme je me suis débattue, d'autres se débattront, et, pour bien
longtemps encore, les gens connaîtront même lune et même soleil, et ils
regarderont les mêmes étoiles, ils y verront comme nous les yeux des
défunts. J'ai déjà lavé et rincé les hardes que je désire sentir sous
mon cadavre. Soleil levé, soleil couché, les journées glissent et le
sable que soulève la brise enlisera ma barque, mais je mourrai là, comme
je suis, debout, dans mon petit jardin, quelle joie !...