dimanche 19 octobre 2014

Stéphane Chaumet


Stéphane Chaumet est né en 1971.

Il a publié Au bonheur des voiles, chroniques syriennes (Le Seuil, 2013), Même pour ne pas vaincre, roman (Le Seuil, 2011), et les livres de poésie Les cimetières engloutis (Al Manar, 2013), La traversée de l’errrance/La travesía de la errancia (La Cabra, Mexico, 2010), Urbaines miniatures (L’Oreille du Loup, 2007), Dans la nudité du temps (L’Oreille du Loup, 2007).

Il a traduit plusieurs poètes latino-américains et espagnols, ainsi que la poète allemande Hilde Domin et l’iranienne Forough Farrokhzad.

Les Cimetières engloutis (extraits)

Je regarde la mer interdite
la mer souillée
des embarcations témoignent de voyages morts
de l’incessante langue d’eau de la brûlure du sel
bois et ferrailles cailloux et plastiques
une boussole satellitaire grippée sur le néant
Je pense aussi aux voyages morts échoués en chacun
aux épaves qui s’accrochent à nous
à ces liens d’ombre qui nous ligotent
Luisant dans la nuit
sur la crique les os léchés à blanc
et je me dis
un mort est-ce
un crâne bourré d’obscur
Le bruit des vagues
Le vent (...)

je parcours les cimetières engloutis et pagaie seul sur cette eau morte
   entre des fleurs décomposées où la nuit réverbère son huile
   entre les grands ifs faisant fi des vanités
   entre l’amnésie flottante et les mousses éclipsant les pierres
   entre l’âme moisie des lieux de piété et d’abus
   entre la puanteur des joies défuntes qui déguisaient vos jours
   entre les bijoux de l’infamie arrachés des corps sans nom
   entre l’os prostitué et les images du règne qui s’émiettent
   je parcours les cimetières engloutis et cherche les yeux d’une femme 

(...)

je suis le couteau qui se cache
dans le sourire de l’enfant humilié
le trou que la nuit creuse dans l’insomnie
la respiration des asthmatiques
le miroir de la lépreuse
la dernière ombre du chien au milieu de la rue
cherchant sa mort de métal
le genou cassé à l’horizon de la frontière
la goutte d’acide qui tombe et ronge la langue
je suis le balbutiement de la langue rongée 

(...)
sur la route du retour
la tension affûte tes sens
tu cherches les bifurcations
où te perdre
où puisse encore éclore
un moment de splendeur
sur la route du retour
il pleut des oiseaux morts
(...)
j’ai bu le vide au goulot
tant ma soif était noire
et je nage
pour échapper aux fourches
pour chercher les failles
pour saper les racines de vieux réflexes mentaux
j’articule ma lenteur défie ma blessure
efface au noir mes traces
et j’ai tant nagé
qu’à la pointe de l’épuisement
là où se fend l’insomnie
là où se tend le nerf caché
où le masque se casse
où l’os brise le verre
où le sang récupère sa source
je rencontre une femme
belle comme une forêt en feu

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