Les Fruits d'Or

Les Fruits d'Or est un court roman (156 pages) que l'on doit à la plume de Nathalie Sarraute et qui fut publié en 1963.
Il valut à son auteur le Prix International de Littérature en 1964.
Nathalie Sarraute - oui, c'est la mère de Claude ! - née à Ivanovo le 18 juillet 1900 et morte à Paris le 19 octobre 1999, était une romancière et dramaturge française qui contribua à fonder l'école dite du Nouveau Roman et en fut un des exemples les plus célèbres à travers le monde.

Mais, ça raconte quoi, "Les Fruits d'Or" ?

La narratrice nous raconte l'accueil d'un livre, "Les Fruits d'Or", dans le milieu intellectuel et bourgeois.
On ne sait rien des personnes qui donnent leur avis sur l'ouvrage, ne sont rapportés, dans des dialogues rythmés et décousus, que les discours plus ou moins sensés, justifiés, pertinents des protagonistes.

"C'est vrai. Je suis bien d'accord. Depuis Les Fruits d'Or, quelque chose pour moi a définitivement changé. C'est un tremblement de terre, Les Fruits d'Or."


Tous semblent à l'unisson : il faut aimer "Les Fruits d'Or" et les célébrer comme il convient ! Malheur au déviant !

 "Tout le monde est emballé par Les Fruits d'Or, à ce qu'il paraît... J'ai un peu lu le bouquin... Eh bien, je ne sais pas si vous êtes de mon avis... mais moi je trouve ça faible. Je crois que ça ne vaut absolument rien... Mais rien, hein ? Zéro. Non ? Vous n'êtes pas d'accord ?"

On crucifie alors le malheureux hors la norme :


"Mais c'est d'eux que cela provient, de celui-ci qui l'a provoqué et qui l'observe maintenant, qui se tait... Il y a quelque chose dans sa présence silencieuse, dans leur silence à tous, assis en cercle autour de lui, dans leur attente lourde de méfiance, qui, comme par un effet de succion, tire de ces mots qu'il lit toute leur sève, pompe leur sang, ils sont vidés... des petites choses desséchées..."

Et s'il trouve à redire au style...


"Exprès. C'est fait exprès. Voyons, comment ne le voyez-vous pas? Le coup fait tituber, il voit des gerbes d'étincelles, il a trente-six chandelles devant les yeux. Il essaie de se retenir à n'importe quoi pour ne pas tomber... Comment exprès? Mais écoutez-moi, ce n'est pas une excuse... Si l'auteur l'a fait exprès, tant pis pour lui..."

La narratrice, elle n'a pas lu le livre alors, mais les dithyrambes qu'elle entend ce jour là la pousse à le faire enfin. Hélas, le temps est passé d'aimer "Les Fruits d'Or"...


" Et les Fruits d'Or ? Est-ce que vous vous en souvenez ? » Cet effort qu'il faut faire chaque fois... Je ne parviens pas à me décider... C'est de sentir comme en eux immanquablement le mécanisme se met à fonctionner... comme un réveil qu'on a remonté, une horloge bien réglée... J'attends que la sonnerie se déclenche. Même autrefois, au temps où de prononcer votre nom faisait retentir aussitôt des cris d'admiration, rien que de savoir cela à coup sûr, de l'attendre, me jetait dans une espèce de fureur, j'avais envie de les secouer pour les fausser, pour les forcer à avoir des ratés... Mais maintenant..."

"Et Les Fruits d'Or? Voilà. Le système d'horlogerie se met en branle... Ah parce que... Ce sont les premiers grincements... Parce que... vous en êtes encore... Les coups sonnent... Vous en êtes encore... aux Fruits d'Or?"

Parabole implacable sur la bêtise et la suffisance de ceux qui croient savoir, qui s'estiment dépositaires du bon goût et sont plus versatiles que des enfants incultes, "Les Fruits d'Or" est aussi une mise en abime littéraire extraordinaire.
En effet, Nathalie Sarraute fait proférer par ses personnages tous les poncifs de l'analyse littéraire - style plat, vocabulaire limité, pensée confuse - tout en les illustrant par son écriture même !
Ce "roman" nous fait comprendre que nos jugements, nos opinions, ou ce que nous croyons tels, ne sont nôtres que par des petits riens, des sensations physiques définissables bien qu'impalpables et que nous ne maitrisons qu'imparfaitement.
Ajoutons y l'effet de groupe et on touche du doigt la vacuité de l'exercice critique.