mardi 30 juin 2015

Jean Delville, star du symbolisme


Né le 19 janvier 1867 à Louvains, Jean Delville était un peintre belge de l'école symboliste.

Après des débuts réalistes, il propose des oeuvres marquées par l'ésotérisme, tant en dessin qu'en peinture.

Fondateur de l'association "Pour l'Art" qui regroupe la plupart des artistes symbolistes belges, il est honoré par l'Académie Royale de Belgique qui l'élit parmi ses membres en 1924.

Essayiste sur l'art et poète, Jean Delville disparaît en 1953 à Forest.

Wheel of the World
Age of Splendor
Orphée 
Prométhée

TÊTE D'OMBRE


Plus sombre que la nuit, plus triste que la mort,

masque pétrel d'horreur par des' mains ténébreuses,

la Bêtise au front lourd, sur ses lèvres heureuses,

laisse le mal poser son vieux serpent qui mord.

Car n'est-il pas écrit sur le livre invisible

où Sathan a tracé d'un long doigt tortueux

les signes incompris, brûlants et sulfureux,

que l'amour est l'amant de la Bête risible !

Au fond de l'œil impur fermentent les instincts,

cuves du sang promis aux immondes festins

dans l'énorme sabbat des larves érotiques.

- En accouplant le vice à la stupidité,

Sathan, sorcier fatal des rêves sabbatiques,

éternellement rit dans ce masque hébété!


The Treasor of Satan

The God Man
Love of Souls

SÉRÉNITÉ

A Gary de la Croze.

Sur ceux que ne frôla point l'aile de l'esprit

et qui n'ont pas reçu le don de la lumière,

o doux poëte, fais, sur tous ces fronts de pierre,

régner ton clair regard de rêve et de mépris..

Laisse l'impur troupeau de la bêtise humaine

passer et repasser sur les vieux chemins noirs ;

les aubes, à leur yeux, sont les éternels soirs ;

ils ne verront jamais lJ monstre qui les mène.

N'offre pas à l'aveugle un peu de ta clarté;

ne chante pas au sourd la parole divine;

il faut entendre et voir pour que l'on te destine

aux portiques d'azur de la lucidité..

Laisse monter vers toi leurs insultes funèbres

sans que ton manteau blanc dérange ses beaux plis;

par l immuable loi des destins accomplis

tous ces passants de plomb marchent dans leurs ténèbres.


Pour finir, ce tableau qui trône dans la salle des symbolistes du Musée d'Orsay et dont la signification peut donner cours à diverses interprétations...


Et bien, non, ce n'est pas le Christ et ses apôtres mais il est intitulé

"L'Ecole de Platon" !

samedi 27 juin 2015

Stirling Moss ou le fair-play mal récompensé

L'honnêteté en sport est une valeur régulièrement mise en avant dans les médias.
Toutefois, il peut arriver qu'un acte de fair-play ne soit finalement pas récompensé.

Petit retour en arrière : nous sommes en 1958, lors du Grand Prix de Formule 1 du Portugal.

Le britannique Mike Hawthorn est leader du championnat du monde des pilotes.


En dépit d'un tête à queue en course, il termine à la deuxième place, derrière son rival et compatriote Stirling Moss et empoche 6 points au classement général plus 1 pour avoir réalisé le meilleur chrono au tour lors des essais, alors que Moss en récolte 8.


Mais les commissaires accusent Hawthorn de manoeuvre dangereuse car il serait brièvement reparti à contre sens de la course lors de son incident. Ils veulent le déclasser et ne lui attribuer que son point du meilleur tour.

Moss, qui a été témoin de la scène, prend la défense de son adversaire et Hawthorn peut finalement conserver ses 7 points.

L'histoire aurait pu s'arrêter là.

Mais, ironie amère, à la fin de la saison, Mike Hawthorn est sacré Champion du Monde avec...1 point d'avance sur Stirling Moss.

Pour parachever ce goût d'injustice, notez que Moss ne parviendra jamais à remporter le Championnat du Monde.
Hawthorn quant à lui, mettra un terme à sa carrière à la fin de la saison 1958, particulièrement meurtrière chez les pilotes et trouvera la mort moins d'un an plus tard...dans un accident de la route !

mercredi 24 juin 2015

Divas divines : 2 - Michèle Arnaud

Michèle Arnaud, née Micheline Caré le 18 mars 1919 à Toulon est décédée le 30 mars 1998 à Maisons Lafitte.

Après des études littéraires, elle décroche deux certificats de philosophie à l'Ecole Libre des Sciences politiques.

En 1952, elle anime le cabaret parisien Milord l'Arsouille avec son mari Francis Claude et fait des apparitions sur la scène. Elle est accompagnée par un jeune pianiste timide nommé Serge Gainsbourg. 
Michèle Arnaud découvre qu'il est également auteur compositeur et le pousse à interpréter ses oeuvres sur la scène du cabaret.
Le grand Serge lui sera toujours reconnaissant en écrivant pour elle tout au long de sa carrière.

Après avoir représenté la France au premier Concours Eurovision de la Chanson, Michèle Arnaud entame une vraie carrière sur les scènes parisiennes.
La diversité de ses choix d'auteurs déconcerte le grand public.
Elle restera une sorte d'ovni intellectuelle dans le monde de la chanson, tablant sur une notoriété raisonnable pour promouvoir ses auteurs plutôt que de sacrifier aux modes et de "faire carrière".

Revenons à la fin des années 50 avec ce titre rive-gauche :

"Zon, zon, zon" de Maurice Vidalin et Jacques Datin


1964, "Et après" de Armand Seggian et Jacques Pezet


Restons dans les années 60 avec ce titre signé Bernard Dimey et Henri Salvador, "Si les eaux de la mer"

En 1963, Agnès Varda écrit une chanson pour son film Cléo de 5 à 7 sur une musique de Michel Legrand, "Sans toi" :


Mais les chansons les plus notables de son répertoire sont dues à la plume de Gainsbourg.
Trois exemples qui malheureusement sont rarement repris dans ses anthologies mais qui n'en sont pas moins remarquables :

"Les papillons noirs" (en duo,1966)


"Rêves et Caravelles" (1969)


"Ne dis rien", extrait de la comédie musicale Anna, écrite pour la télévision et produite par Michèle Arnaud :


C'est d'ailleurs à la télévision que Michèle Arnaud consacre la fin de sa carrière.
Productrice en 1963 de l'émission culte "Les Raisins Verts" qui révolutionna la télé et lança le réalisateur Jean-Christophe Averty, elle propose dès 1966 une sorte de hit-parade, "Tilt", animé par un certain Michel Drucker.
Ensuite elle produit des documentaires consacrés à des écrivains ou à des peintres, dont un sur Henri Miller reconnu internationalement.

Michèle Arnaud, une grande dame, intelligente et exigeante, que tout amateur de chanson française se doit d'honorer.

dimanche 21 juin 2015

Votez Rhinocéros !


En 1963, l'écrivain et médecin québécois Jacques Ferron (1921-1985), aux idéaux socialistes et pacifistes, fonde le Parti Rhinocéros qui se veut l'expression d'une satire du monde politique.

En tant que leader, il s'autoproclame "Eminence de la Grande Corne" du Parti Rhinocéros.
Le nom du mouvement lui a été inspiré par la pièce d'Eugène Ionesco. C'est aussi un
symbole, "puisque les politiciens ont, par leur nature, la peau épaisse, se déplacent lentement, ont l’intellect faible, peuvent se déplacer très vite lorsqu'ils sont en danger, ils aiment se vautrer dans la boue et ils ont de grandes cornes velues poussant au milieu de leurs visages et qui obstruent leur vision ".Le but est de moquer le système fédéraliste canadien, considéré comme une réminiscence du colonialisme britannique.

Jacques Ferron, Eminence de la Grande Corne
Quelques personnalités en vue de la Belle Province rejoignent le parti, comme Robert Charlebois, Michel Rivard, Guy Laliberté, Gaston Mirron ou Marie Chouinard. 

Ces célébrités se portent candidats à diverses élections locales ou fédérales entre 1963 et 1979.
Car, contre toute attente, les électeurs répondent présents et les votes se comptabilisent bientôt par milliers, même si leur nombre demeurent insuffisants pour assurer des sièges de députés provinciaux ou nationaux.

A la disparition de son fondateur, le Parti annonce sa dissolution, mais présente néanmoins des candidats aux élections de 1988, et comme en 1980 et 84, ne se limite plus au seul Québec.

En 1993, de nouvelles dispositions de reconnaissance des partis politiques signent la fin du Parti Rhinocéros.

Il renaîtra de ses cendres en 2005, sous le nom de neorhino.ca, puis à nouveau Parti Rhinocéros.

L'axe principal du parti est de "ne tenir aucune promesse électorale".

Voici par ailleurs, quelques propositions essentielles qu'il présenta aux électeurs :

Abolir la loi de la gravité.

Réduire la vitesse de la lumière parce qu'elle va beaucoup trop vite.

Paver la province du Manitoba pour créer le plus grand stationnement du monde.

Fournir une éducation plus élevée aux Canadiens en construisant des écoles plus hautes.

Instituer l'anglais, le français et l'analphabétisme comme les trois langues officielles du Canada

Démolir les montagnes Rocheuses de sorte que les électeurs de l'Alberta puissent voir le coucher du soleil du Pacifique, ou les déplacer d'un mètre vers l’ouest comme projet de création d’emploi.

Raser les montagnes Rocheuses et les transporter dans les Grands Lacs, pour aplanir les disparités régionales et obtenir un Canada uni.

Légaliser le pot. Et les casseroles. Et les spatules. Et d'autres ustensiles de cuisine.

Mettre fin à la crise de l'énergie, en réduisant les coûts du transport en déplaçant les villes de Montréal de 50 km vers l’ouest et Toronto de 50 km vers l’est.

Supprimer le pompage du pétrole de la terre parce que ce pétrole est là pour permettre à la Terre de se déplacer sur son axe et que si vous retirez le pétrole, la chose entière s'arrêtera.

Abolir l'environnement parce qu'il est trop difficile de le garder propre et qu'il prend trop d'espace.
Rendre le vert fluo la couleur nationale du Canada.

Adopter le système britannique de la conduite du côté gauche ; ceci devant être mis en place graduellement, en cinq ans, en commençant avec les gros camions lourds d'abord, puis les autobus, et les petites voitures et bicyclettes en tout dernier.

Mettre la dette nationale sur une carte Visa et la déclarer volée par la suite.

Déclarer la guerre à la Belgique car un personnage de bande dessinée belge, Tintin, a tué un rhinocéros dans un des albums.
Offrir de mettre fin à la guerre Belgique-Canada si la Belgique livre une boîte de moules et une caisse de bière belge au « quartier arrière » Rhinocéros de Montréal. (Ce qu'a fait l'ambassade de Belgique à Ottawa.)

Indiquer des limites côtières maritimes du Canada en peinture de sorte que les poissons canadiens sachent où ils sont à tout moment.

Compter les Mille-Îles pour s'assurer qu’aucune n'est absente.

Rendre les Canadiens plus forts en mettant des stéroïdes dans l'eau.

Remplacer l'eau des abreuvoirs par du jus d'orange.

Envelopper l'Alberta dans du plastique pour étudier l'effet de serre.

Éliminer la faim et l'obésité en donnant les gros à manger aux pauvres.

Asphalter le fond du lac Saint-Jean pour que les hameçons arrêtent de s'y accrocher.

Transformer l'aéroport de Mirabel en aéroport souterrain pour rendre les terres aux cultivateurs expropriés.

Renverser le Mont Chaudron pour y faire cuire des fèves au lard.

Unifier Cuba et le Québec pour former un pays appelé Cubec.

Éliminer le mot dictionnaire du dictionnaire afin que lorsque nous consultions le dictionnaire, en réalité, nous feuilletions quelque chose qui n'existe pas

Empêcher les jeunes d'aller à l'école pour ainsi réduire le taux de décrochage scolaire.

Obliger les fabricants automobile de vendre des véhicules en caoutchouc et des pneus en métal, les accidents seraient moins sévères et les crevaison seraient bannies.

Donner le droit de grève aux chômeurs.

jeudi 18 juin 2015

Andrew Eccles


Andrew Eccles est un globe-trotter.
Né en Angleterre, il a été élevé à Toronto, puis habitant Hawaï, il fait ses études à Vancouver avant de passer par le Texas et de finalement s'installer à New York.

Devenu photographe professionnel en 1987, après avoir collaboré avec Annie Leibowitz et Robert Mappelthorpe.

Ses clichés de célébrités du spectacle, du sport et de la musique sont publiés dans tous les magazines de la planète.




Mais ce qui m'a séduit ce sont ses illustrations des contes de fées de notre enfance, à sa manière très personnelle...












lundi 15 juin 2015

Silvie Bodorova

Voici venu le moment de réparer une injustice.
Dans le domaine de la musique dite sérieuse, pour ne pas la qualifier de classique, on a l'impression qu'il n'existe que des compositeurs masculins.
Or, c'est faux.
Depuis des siècles, des femmes ont créé de la musique mais sont restées dans l'ombre de leurs homologues virils.

Il en est de même aujourd'hui.
En République Tchèque, Silvie Bodorova, née le 31 décembre 1954 à České Budějovice, en est une illustration des plus marquantes.

Ses oeuvres vont de la symphonie, au concerto en passant par des compositions lyriques ou de musique sacrée, et aussi des pièces instrumentales pour ballets.

Extrait de la Symphonie n°1 :


du Concerto dei Fiori :


le prologue de l'oeuvre lyrique Lingua Angelorum :


et enfin, la musique du ballet Trebbia Avanti :


vendredi 12 juin 2015

César Manrique


Un récent séjour dans l'île de Lanzarote, aux Canaries, m'a permis de rencontrer un artiste qui est une véritable icone nationale.

César Manrique naquit le 24 avril 1919 à Arrecife.
Il se passionne très tôt pour les peintres modernes comme Picasso, Matisse et Braque.
C'est d'eux qu'il tirera son inspiration.
Engagé volontaire dans les brigades franquistes pendant le guerre civile, il est révulsé par les atrocités commises, déserte et brûle son uniforme avant la fin des combats.

La paix revenue, il entreprend des études d'architecture puis décroche un poste d'enseignant à l'Ecole des Beaux Arts de San Fernando.
A partir de 1945, Manrique devient le porte étendard de la peinture contemporaine espagnole.

Mais l'art n'est pas un domaine suffisant pour lui.
Amoureux de son île, il se lance en politique, côté administratif et se voit confier en 1966 la responsabilité de veiller à un développement harmonieux du tourisme dans l'île.

Avec la collaboration de l'architecte Fernando Higueras, il tente d'imposer la mise en place d'un tourisme élitiste pour en limiter l'impact sur la nature.

Il parsème Lanzarote de plusieurs de ses oeuvres, statues gigantesques ou aménagements architecturaux.


Le 25 septembre 1992 César Manrique trouve la mort, en compagnie de son épouse dans un accident de la route aux environ de Teguise où il a créé une Fondation regroupant ses principales oeuvres.

Quelques une de ces sculptures monumentales :











On y ajoutera le Jardin des Cactus


et une création à Puerto de la Cruz sur l'île voisine de Tenerife :


Passionné d'automobile, il avait customisé une BMW :


mardi 9 juin 2015

La Terrasse des Bernardini


La rentrée 1973 fut particulièrement faste dans le domaine littéraire.
Parmi les romans en lice pour les prix de l'automne, La Terrasse des Bernardini est nommé pour les plus importants d'entre eux.

C'est le sixième ouvrage signé Suzanne Prou.
Née le 11 juillet 1920 à Grimaud, elle ne se lance dans l'écriture qu'en 1966 avec Les Patapharis.
Son roman, Méchamment les oiseaux reçoit le Prix Cazes en 1972.
Le Prix Renaudot couronne l'année suivante La Terrasse des Bernardini.
Suzanne Prou intègre ensuite le jury du Prix Fémina jusqu'à sa mort le 30 décembre 1995.


A voir Mme Laure Bernardini prendre le frais avec ses amies sur la terrasse de sa maison sise au bord de la grande place de la ville, on a du mal à se représenter ce que dut être dans sa jeunesse cette vieille femme vêtue de noir, à l'embonpoint majestueux, au visage figé par l'âge.
Vieille aussi est Mme Thérèse, sa dame de compagnie, moitié servante moitié amie.
Parfois, sous leurs paupières lourdes, les yeux de Mme Thérèse s'allument d'une lueur méchante; parfois, Mme Laure pince les lèvres en regardant Mme Thérèse.
Quel secret cachent ces jeux de physionomie ?
La chronique du pays ne renseigne guère sur les deux femmes mais, avec les points de repère qu'elle donne, peut-être n est-il pas impossible de reconstituer leur existence.

Autour de ces jalons plantés çà et là comme les épingles sur un coussin de dentellière, Suzanne Prou fait courir le fil de son imagination et, peu à peu, se dessine la vie entière de Laure, passé et présent alternés avec leurs mystères et leurs drames, en un motif assez passionnant pour mériter la consécration du Prix Renaudot.


L'idée de chien plaisait à Laure sans doute,
mais non sa réalité : elle ne pouvait aimer que des images bien propres, inodores et dépourvues de saveur. On l'avait habituée à détester le vulgaire, à admirer les moutons enrubannés des Bergeries plutôt que les troupeaux, les bons pauvres reconnaissants, les accordées de village toutes pures, les portraits exhaustifs de familles riches et unies. Aveuglée par des représentations toutes faites, elle demeurait séparée de la vie par une espèce de vitre glacée.
(...)
La vie ressemble à une longue promenade qu'on fait sur une route bordée de cercueils vides. La cohorte qui avance, nombreuse d'abord, diminue à mesure que ses membres, sans ordre d'âge d'ailleurs, se couchent l'un après l'autre dans les sépulcres préparés. Chacun sait que le sien est là, quelque part au bord du chemin. Il vaut mieux n'y pas trop penser.
(...)
Laure, délivrée des assiduités de son mari, a commencé de s'épanouir. Comme on avait mis sa pâleur sur le compte de nuits voluptueuses, on a attribué sa mine florissante à sa grossesse. Et, de même qu'elle n'avait pas démenti la première explication, elle a par son silence, avalisé la seconde. Elle a commencé de goûter le plaisir d'être la femme de Paul au moment où elle cessait de lui appartenir.
(...)
On ne saluait Paul que si on y était obligé, par surprise, avant d'avoir eu le temps de changer de trottoir.
Bien des gens sans doute affectaient une réprobation qu'ils ressentaient à peine; leurs airs scandalisés représentaient pour eux surtout une revanche; ils profitaient de l'occasion qui leur permettait de mépriser avec bonne conscience une famille qu'ils avaient été tenus jusque-là de respecter.

(...)
Il dit qu'il connaît ses sales petits secrets : comment elle renverse les casseroles de pâtée, comment elle sème les épingles dans le creux des coussins, comment elle enferme les mouches dans le sucrier de porcelaine, comment elle vide chaque matin le contenu de son pisse-pot au pied des rosiers.(...)
La grosse lapine tachetée a mis bas plus tôt que Théodore ne l'espérait. L'un de ses petits est mort.
Théo contemple le petit cadavre allongé sur sa paume : corps glabre, bleuâtre, tête aux oreilles molles, au museau aplati, aux yeux fermés. Il semble résumer les espoirs avortés de toute vie.
Le vieil homme dépose la chose inerte à terre, et il entreprend de consoler la mère qui se tasse contre le mur, apeurée, cachant sous son ventre sa progéniture enfouie dans la paille. Théo fouille dans la cage, plonge sa main, dans la litière salie souillée de glaires et de sang. Sous ses doigts, il sent le grouillement tiède des petites bêtes à la peau trop fine. Il se met à caresser le flanc de la lapine.
(...)
Il est pareil à un vieux livre fermé Théodore, à un album d'un autre âge : de ceux qui se verrouillent à l'aide d'une patte d'argent. L'ivresse a soulevé le fermoir, le livre s'est ouvert.
Il se dit que les jeux sont faits; mais la vie n'est pas la même, selon qu'on la regarde par un bout ou par l'autre, du côté du commencement ou du côte de la fin.
Tout change et se déforme, les choses et les gens. Une place, on la garde pour peu qu'on en prenne soin, tandis qu'une femme, on est sûr de la perdre : fidèle ou infidèle, aimante ou cruelle, elle vous échappe, elle se défait, là, devant vous; chaque seconde pourrit un peu le beau fruit. Si on y réfléchissait, on prendrait en horreur cette chair qui se décompose.
Il se dit que rien ne vaut la peine de rien, et que le monde est mal fait, puisqu'on mange son pain blanc le premier ; quand on a du pain blanc, bien sûr.
(...)
Il l'a prise sur les draps défaits, fripés. Les yeux clos, il imaginait le corps de Thérèse comme une longue rivière frissonnante dans laquelle il eût nagé, n'en finissant plus d'aller au long des membres d'eau claire, qui s'étiraient toujours. Puis, Thérèse était un poisson vif, au ventre doux qui se tordait et fuyait sous ses mains; une grotte aquatique encombrée d'herbes fluides et mouillées, dont il forçait l'entrée, et qu'il découvrait toute tapissée d'algues rétractiles suantes de mucus, fleurant la vase et le coquillage. La rivière était froide, la grotte parcourue de larges courants chauds; l'eau s'y gonflait en tourbillons qui saisissaient le nageur et l'entrainaient dans une giration folle. Et le bruit des flots bourdonnait sans relâche, envahissait les oreilles de Paul qui avait envie de s'accrocher aux parois de la caverne, de se hisser hors de son plaisir.
(...)
Toute une journée d'été s'échappe de la théière. On dirait que reculent les murs et les tentures du salon suranné, que disparaissent les sofas, les sièges contournés, les lourds tableaux aux cadres riches. L'automne triste a fui, et les années qui pèsent; on croirait que des rires de jeunes filles vont fuser, que la vie commence, que la vieillesse n'existe pas.
Les vieilles dames ne parlent plus ; elle rêvent, laissant fondre le sucre au fond des tasses à thé.
(...)
Au temps de sa jeunesse -- et longtemps après encore -- les filles pures et froides, à la froideur et à la pureté soigneusement entretenues, étaient jetées dans le mariage comme les vierges chrétiennes au taureau : à elles alors de s'adapter, de s'éveiller ou de se résigner.


samedi 6 juin 2015

Paul-Eu Gazette

Le poète québécois Gilles Vigneault a livré en 1966 une de ces vignettes qui contribuent à construire la postérité d'un artiste.

La rencontre qu'il nous propose avec le sieur Paul Eugène, voyageur curieux de tout que la lecture rendra philosophe et poète, est un exemple des portraits que le barde de Natashquan nous propose de ses compatriotes.

A mi chemin de l'épopée poétique et du sketch narratif, voici l'improbable histoire d'un aventurier des mots, Paul-eu Gazette :


mercredi 3 juin 2015

Isabeau de R.

Isabeau de R fait partie des nouveaux humoristes qui se sont épanouis sur les scènes parisiennes depuis le début du siècle.

De son vrai nom Isabelle de Richoufftz de Manin, elle est née le 25 juin 1961 à Paris.

Descendante d'une illustre famille de la noblesse française qui trouve son origine en Allemagne au XVIè siècle.

Après des études à l'Institut des langues et civilisations orientales où elle décroche un diplôme de chinois et un autre de coréen, elle se voit confier par la société Spie Batignolles le suivi de sa filiale en Chine en 1986.
Puis elle passe un an à la Commission Européenne et se fait débaucher par la banque allemande BHF Bank pour ouvrir sa succursale de Hong Kong. Elle poursuit une carrière brillante dans diverses institutions financières jusqu'en 1997 avant de monter sa propre affaire en République Tchèque, don,t elle apprend la langue (la septième pour elle).

En 1999, elle fait un stage de café-théâtre pendant ses vacances.
Ce n'est toutefois qu'en 2003 qu'elle abandonne la finance pour le théâtre.

Elle se lance dans un spectacle qu'elle a écrit et qu'elle interprète, sans formation, sous le nom d'Isabeau de R : Tenue correcte exigée