lundi 30 octobre 2017

Sagan


Il n'est vraisemblablement pas nécessaire de présenter ici Françoise Quoirez, dite Françoise Sagan.
Même celui qui ne lit jamais a entendu parlé de cette romancière, dramaturge et essayiste.


Originaire de Cajarc dans le Lot, elle illumina la jet set littéraire et people des années 50 à 80 avant de se retirer dans sa maison de la banlieue de Honfleur où elle s'éteignit en 2004.


Très prolifique, elle assurait qu'écrire lui était douloureux mais qu'elle ne voyait pas ce qu'elle pourrait faire d'autre.

Son style fut qualifié par ses pairs et la critique de "petite musique" qui suscita autant l'admiration que le rejet.

Je vous propose quelques citations extraites des ouvrages les moins connus :


Des Bleus à l'Ame

Et cette âme, si nous n’y prenons pas garde, nous la retrouverons un jour devant nous, essoufflée, demandant grâce et pleine de bleus… Et ces bleus, sans doute, nous ne les aurons pas volés.

Je n’en saurai jamais assez. Jamais assez pour être parfaitement heureuse, jamais assez pour avoir une passion abstraite qui me nourrisse d’une manière définitive, jamais assez pour « rien ». Mais ces moments de bonheur, d’adhésion à la vie, si on se les rappelle bien, finissent par faire une sorte de couverture, de patchwork réconfortant qu’on pose sur le corps nu, efflanqué, tremblotant de notre solitude.

Ma vie est d’ores et déjà une dissertation accélérée et bâclée, celle de la mauvaise élève, celle qui n’a rien su faire de ses citations, sinon, par moments, son propre bonheur, son propre orgueil et ses réjouissances.

Le voilà lâché, le mot clef : la solitude. Ce petit lièvre mécanique qu’on lâche sur les cynodromes et derrière lequel se précipitent les grands lévriers de nos passions, de nos amitiés, essoufflés et avides, ce petit lièvre qu’ils ne rattrapent jamais mais qu’ils croient toujours accessible, à force.

Il y a eu énormément de guillemets dans ma vie, si j'y réfléchis, quelques points d'exclamations (la passion), quelques points d’interrogations (la dépression nerveuse), quelques points de suspension (l’insouciance)





Les Faux Fuyants

Pour provoquer le chagrin et les larmes il faut des circonstances précises, un décor, des détails que ne demandent pas, Dieu merci, le plaisir et le bonheur, lesquels s'accomodent d'un canevas plus flou.



Le Lit défait

Ce n'est pas sur un défaut qu'on se blesse mais sur l'absence d'une qualité

Les écrivains, enfin les gens qui créent quelque chose, savent très bien régenter leur cœur et leur corps. Ils nourrissent l’un et l’autre, dès qu’ils écrivent, avec la même désinvolture.

C'était l'un des grands charmes de la passion, pensait-il, que celui de ne plus se dire : que fais-je ici? mais au contraire; comment m'y maintenir?"




Le Garde du Coeur

"C'est drôle : peut-être faut-il , comme je l'ai toujours fait, haïr la vie dans le fond pour l'adorer sous toutes ses formes."

"C'est terrible, finalement, d'avoir le bonheur facile. C'est très astreignant, le bonheur, on ne peut pas plus s'y dérober qu'à la neurasthénie."

La terre seule me rassure, quelle que soit la part de boue qu'elle contient.






Un Chagrin de Passage

Comme les trois quarts de ses relations, il passait sa vie, depuis qu'il était en âge de la gagner, à répondre à des "comment ?". Les "pourquoi ?" étaient réservés aux adolescents et aux penseurs professionnels.

- C'est quoi, être intelligent, pour toi ? gémit Sonia avec la voix enfantine qu'on aisément certaines femmes, passé trente ans.
- Je ne sais pas, dit-il. Peut-être avoir sur une question le plus grand nombre de points de vue possibles... et en changer... et apprendre...
- Eh bien alors, on apprend tout le temps, puisqu'on change de point de vue tout le temps !
- Non, non ! Plus le temps passe, plus on adopte les points de vue les plus proches de ses intérêts, ou de sa paresse, ou de ses amis, ou de la vie courante. On se rétrécit et on diminue les regards et les points de vue. Petit à petit, on devient un vrai con, un vieux con.


Les Violons Parfois

Tant qu'on croit en l'homme, vous savez, on peut croire en Dieu, mais si on n'y croit plus... si on voit une bête à sa place occupée à en faire souffrir d'autres...

L'argent rend égoïste. C'est bien pourquoi je veux en avoir. Je trouve l'égoïsme confortable, équilibrant...



Toxique

Mon passe-temps favori, c'est laisser passer le temps, avoir du temps, prendre du temps, perdre son temps, vivre à contre-temps.

Car enfin, quand on a plus personne à embrasser, et que la solitude équivaut à un travail que personne ne vous demande plus, la vie doit être triste.

J'avais 16 ans.
J'ai eu 16 ans.
Je n'aurai plus 16 ans.

moi qui me sens la jeunesse même.
Je n'ai pas vieilli en fait,
Je n'ai Renoncé à Rien.


Un Profil Perdu

Un chagrin d'amour, si affreux soit-il était-ce pire qu'une solitude anonyme, une solitude sans écho ?

C'est bien là le pire des ruptures : non seulement on se quitte mais on se quitte pour des raisons différentes.

Je ne comprenais pas qu'on puisse s'acharner à atténuer, à étouffer les différents chocs de la vie. Il me semblait qu'il y avait là une sorte de défaite permanente, et que ce rideau interposé entre l'anxiété, le malheur, l'ennui et soi-même était comme un drapeau blanc, un signe de reddition, a priori tout à fait humiliant.

Nous vivions de silences heureux et de phrases inachevées, comme si nous avions, d'un même mouvement, confié le vrai dialogue à nos corps.

J'avais connu parfois, et seule justement, de ces moments de bonheur extravagants, presque métaphysiques, où l'on découvre tout à coup dans un éclair éblouissant et concret que la vie est une chose superbe, qu'elle est justifiée complètement, irrémédiablement, en cette seconde précise, par le simple fait d'exister.

L'envie d'être livre, l'envie d'être aimé, l'instinct de fuite, l'instinct de chasse, tout cela vous paraît grâce à une défaillance providentielle de la mémoire ou à une prétention naïve, complètement original.

Je ne passerais plus de saccage en saccage, de déchirement en déchirement, je serais la clairière ensoleillée et la rivière où les miens viendraient boire sans retenue le lait de l'humaine tendresse.

On a parfois, comme ça, des idées sur soi, même purement "visuelles", mais irrévocables. Le reste du temps, on se laisse flotter sans se voir, on se laisse disparaître dans une traînée de bulles saumâtres et sans couleur vers les fonds les plus bas, aveugle, sourd et muet de désespoir. Ou alors, au contraire on ressurgit superbe et triomphant dans l'oeil de quelqu'un d'autre, aveuglé de ce soleil que vous êtes pour lui et qu'il invente au péril de son coeur

-Et ça vous plait de ne rien faire?
(...)
-Bien sûr, dis-je.Je regarde passer le temps,défiler les jours,je me mets au soleil,quand il y en a,je ne sais pas ce que je ferai le lendemain.Et s'il me vient une passion,j'ai le temps de m'en occupper.Tout le monde devrait avoir droit à ça.

Mais Françoise Sagan a aussi enregistré quelques textes sur une musique de Michel Magne en 1956 et 1957 :

La Valse


Le Jour


Les Jours Perdus


Scénariste, elle écrivit et réalisa un court métrage en 1979, Encore un Hiver




Mais les plus réfractaires à la lecture se sont peut être laissé séduire par le téléfilm que Diane Kurys réalisa pour France 2 en 2007 et qui retrace, en deux parties, la vie tumultueuse de Françoise Sagan et de son entourage.

Pierre Palmade, Bruno Wolkowitch, Arielle Dombasle, Jeanne Balibar incarnent autour de l'exceptionnelle Sylvie Testud le petit monde frivole et fragile de la romancière.

Racheté par Luc Besson, la production télévisuelle, remontée, a été également exploitée en salle en 2008 sous le simple titre "Sagan".

Même si certains détails ont été romancés et imaginés, la fresque est des plus crédibles et passionnante, en particuliers grâce à la performance bluffante de Sylvie Testud.


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