vendredi 9 mars 2018

Henry J-M Levet, poète en cartes postales


Fils et petit-fils de politiciens français, nés comme lui à Montbrison (Loire),
Henry Jean-Marie Levet (13 janvier 1974 - 15 décembre 1906)
est engagé comme chroniqueur au Courrier Français en 1895 puis à la revue La Plume.

Son père lui procure une mission en Inde en 1897 à la suite de quoi, il entre dans la Carrière (diplomatique) par goût des voyages.

Il enchaîne les postes d'Indochine à Manille (secrétaire archiviste d'ambassade) puis à Las Palmas, aux Canaries (chargé de la Chancellerie).

Il rentre en France, à Menton, pour soigner une phtisie qui l'emporte à 32 ans.

Il a publié plusieurs plaquettes de poèmes qui ont été saluées par ses pairs, comme Valéry Larbaud ou Léon-Paul Fargue.
Ce sont eux qui publieront son recueil le plus fameux, "Cartes postales".

Ces onze poèmes ont ouvert la voie des poèmes de voyages qui émailleront le XXème siècle.


Ce sont des descriptions de lieux, de sentiments, d'atmosphère, avec des mots simples et des images évidentes et nécessaires qui touchent le lecteur plus surement que des phrases précieuses et des envolées absconses.

En voici trois.
Vous trouverez les autres ici.


Afrique Occidentale

À Léon-Paul Fargue


Dans la vérandah de sa case, à Brazzaville,
Par un torride clair de lune congolais
Un sous-administrateur des colonies
Feuillette les « Poésies » d’Alfred de Musset...

Car il pense encore à cette jolie Chilienne
Qu’il dut quitter en débarquant, à Loango...
— C’est pourtant vrai qu’elle lui dit « Paul je vous aime »,
À bord de la « Ville de Pernambuco ».

Sous le panka qui chasse les nombreux moustiques
Il maudit « ce rivage où l’attache sa grandeur »,
Donne un soupir à ses amours transatlantiques,
Se plaint de la brusquerie de M. le Gouverneur,
Et réprouve d’une façon très énergique
La barbarie des officiers envers les noirs...

Et le jeune et sensitif fonctionnaire
Tâche d’oublier et ferme les yeux...

« Regrettez-vous le temps où le ciel sur la terre
Marchait et respirait dans un peuple de dieux,
Où Vénus Astarté, fille de l’onde amère... ? »


Côte d’Azur — Nice

À Francis Jourdain


L’Écosse s’est voilée de ses brumes classiques,
Nos plages et nos lacs sont abandonnés ;
Novembre, tribunal suprême des phtisiques,
M’exile sur les bords de la Méditerranée...

J’aurai un fauteuil roulant « plein d’odeurs légères »
Que poussera lentement un valet bien stylé :
Un soleil doux vernira mes heures dernières,
Cet hiver, sur la Promenade des Anglais...

Pendant que Jane, qui est maintenant la compagne
D’un sain et farouche éleveur de moutons
Émaille de sa grâce une prairie australe
De plus de quarante milles carrés, me dit-on,

Et quand le sang pâle et froid de mon crépuscule
Aura terni le flot méditerranéen,
Là-bas, dans la Nouvelle Galles du Sud,
L’aube d’un jour d’été l’éveillera... C’est bien !...


Japon — Nagasaki
À Auguste Brunet


La ville a clos ses prunelles multicolores
Et tû ses baladins, ses gongs et ses tams-tams ;
Sur l’eau calme le capitaine du port
Promène dans un sampan dont il tient les rames...

Depuis la dernière épidémie de choléra
Où sa fille lui fut brusquement enlevée,
— Il y a aujourd’hui juste un an de cela –
Le capitaine Kio-tsu a beaucoup changé.

Après l’évènement – lui si mondain naguère ! –
Il a rompu avec toutes ses relations,
Et vit dans son cottage triste et solitaire :
(Même on a craint, pendant un temps, pour sa raison...)

Son désespoir semble l’étreindre comme une cangue
Car il baisse en ramant sa tête anémiée ;
Il circule parmi les navires à l’ancre,
Les cargo-boats, les steamers, les charbonniers...

Comme le calme de cette belle nuit lui pèse !
Ah ! mais voilà soudain que le père meurtri
L’entend se déchirer, cette nuit japonaise,
Où comme en son manteau dormait Nagasaki...

Une hallucination de cet esprit malade
Lui fait ouïr les voix sinistres des sirènes
De tous les bateaux qui dorment là, dans la rade,
Pour lamenter de concert sur la mort de son Yu-len !

Oui, elles lamentent pour la jeune Trépassée
Comme les pleureuses des enterrements anciens :
Leurs hurlements de Walkyries affolées,
Le chœur de leurs clameurs stridentes et crispées,
Les sifflements lugubres des sombres traversées,
— Ah quel anniversaire pour une fille de marin !

— Voilà ce qu’entend dans sa folle douleur sans remède
Le capitaine du port de Nagasaki ;
Quand rien ne trouble cette nuit lunaire et tiède
Que la mélopée lente d’un Thériaki...


Si j'ai choisi de vous parler de Henri Levet (ou Levey, comme il signa certains de ses textes) c'est qu'un chanteur vient de le remettre à l'honneur.

Julien Clerc a mis en musique, dans son dernier album, ce très beau 

"République Argentine - La Plata"

À Ruben Dario

Ni les attraits des plus aimables Argentines,
Ni les courses à cheval dans la pampa,
N’ont le pouvoir de distraire de son spleen
Le Consul général de France à la Plata !

On raconte tout bas l’histoire du pauvre homme :
Sa vie fut traversée d’un fatal amour,
Et il prit la funeste manie de l’opium ;
Il occupait alors le poste à Singapoore...

— Il aime à galoper par nos plaines amères,
Il jalouse la vie sauvage du gaucho,
Puis il retourne vers son palais consulaire,
Et sa tristesse le drape comme un poncho...

Il ne s’aperçoit pas, je n’en suis que trop sûr,
Que Lolita Valdez le regarde en souriant,
Malgré sa tempe qui grisonne, et sa figure
Ravagée par les fièvres d’Extrême-Orient...


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