dimanche 10 juin 2012

Adonis


Ali Ahmad Saïd Esber, dit Adonis, est né à Kassabine, en Syrie, le 1er janvier 1930.

Poète et essayiste, Adonis est depuis plus de 40 ans une figure de proue de la littérature arabe moderne. Professeur de littérature arabe à l’Université de Beyrouth, puis délégué permanent adjoint de la Ligue des états arabes auprès de l’Unesco, en 1989. Ses nombreux ouvrages publiés ont été traduits en plusieurs langues.
Adonis est également critique et traducteur.

De plus, il a réalisé des créations plastiques, calligraphies et collages inédits qui font partie intégrante de son œuvre. Il vit à Paris depuis 1986.

Régulièrement cité parmi les favoris du Prix Nobel, les jurés suédois s'obstinent à l'ignorer...
Il a 82 ans, il serait temps qu'ils apprennent à le lire !


Toucher la lumière
 
Par une nuit de pleine lune
essaye de fixer la galaxie

Tu verras qu’elle est cours d’eau
avec tes bras pour affluents
ta poitrine pour estuaire
 
Aujourd’hui le ciel a écrit son poème
à l’encre blanche
Il l’a appelé neige
Ton rêve rajeunit tandis que tu vieillis
Le rêve grandit en marchant
vers l’enfance

Le rêve est une jument
qui au loin nous emporte
sans jamais se déplacer


Le nuage est las de voyager
Il descend à la plus proche rivière
pour laver sa chemise


A peine a-t-il mis les pieds dans l’eau
que la chemise se dissout
et disparaît
 
Une rose sort de son lit
prend les mains du matin
pour se frotter les yeux






Le palmier parle avec son tronc

la rose avec son odeur
 
Le vent et l’espace vagabondent
main dans la main
 
Arc-en-ciel ?
Unité du ciel et de la terre
tressés en une seule corde
 
Il marche sur les versants de l’automne
appuyé au bras du printemps


Le ciel pleure lui aussi
mais il essuie ses larmes
avec le foulard de l’horizon
 
Quand vient la fatigue
le vent déroule le tapis de l’espace
afin de s’y allonger


Dans la forêt de mes jours
aucune place
sauf pour le vent
 
Pour toucher la lumière
tu dois t'appuyer sur ton ombre


 
Je sens parfois que le vent
est un enfant qui crie
porté sur mes épaules
Comment décrire à l’arbre
le goût de son fruit ?
A l’arc
le travail de la corde ?


 
Telle une main
la lumière se déplace
sur le corps des ténèbres
C’est l’épaule de l’espace
qui s’effondre là-bas
sous les nuages noirs
 
L’espace dans l’œil de la guillotine
est lui aussi tête à couper
 
Tu ne peux être lanterne
si tu ne portes la nuit
sur tes épaules



Je conclurai un pacte avec les nuages
pour libérer la pluie
Un autre avec le vent
pour qu’il nous libère
les nuages et moi
La parole est demeure dans l’exil
chemin dans la patrie



 
Qu’il est étrange ce pacte
entre les vagues et le rivage –
le rivage écrit le sable
les vagues effacent l’écriture

Mémoire – ton autre demeure
où tu ne peux pénétrer
qu’avec un corps devenu
souvenir





 Adonis, in Toucher la lumière, Ed. Fata Morgana, 1997. Ouvrage d’artiste en édition limitée à 30 exemplaires.Texte traduit de l’arabe par Anne Wade Minkowski.

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