mardi 30 octobre 2012

Thomas Bernhard





Ecrivain et dramaturge autrichien, Thomas Bernhard est pourtant né le 9 février 1931 à Heerlen, aux Pays-Bas.
Son style particulier et sa relation à son pays, mêlée d'amour et de répulsion, lui ont valu d'être souvent au cours de sa carrière, au centre de polémiques aussi bien sur la forme que sur le fond.

Egalement poète, Thomas Bernhard a collectionné les récompenses dans tous las pays de langue allemande ainsi que le prix Médicis étranger en 1988.

Il décède d'une infection pulmonaire le 12 février 1989, après avoir rédigé 250 articles, 31 textes en proses et recueils de nouvelles, 5 de poésies et 20 pièces de théâtre.

Aucun arbre
                                   Une cause pour John Donne 
Aucun arbre 
ne te comprendra,
aucune forêt,
aucun fleuve,


 
aucun gel, 
ni glace, ni neige,
aucun hiver, toi,
aucun être,


aucune tempête 
sur la hauteur, aucune tombe, 
ni Est, ni Ouest,
aucune larme, douleur – 
aucun arbre…  



Tu ne sais rien, mon frère, de la nuit

Tu ne sais rien, mon frère, de la nuit,
rien de ce tourment qui m'épuisait
comme la poésie qui portait mon âme,
rien de ces mille crépuscules, de ces mille miroirs
qui me précipiteront dans l'abîme.
Tu ne sais rien, mon frère, de la nuit
que j'ai dû traverser à gué comme le fleuve
dont les âmes sont étranglées depuis longtemps par les mers,
et tu ne sais rien de cette formule magique
que notre Lune m'a révélée entre les branches mortes
comme un fruit du printemps.
Tu ne sais rien, mon frère, de la nuit,
qui me chassait à travers les tombeaux de mon père,
qui me chassait à travers les forêts plus grandes que la terre,
qui m’apprenait à voir des soleils se lever et se coucher
dans les ténèbres malades de ma tâche journalière.
Tu ne sais rien, mon frère, de la nuit,
du trouble qui tourmentait le mortier,
rien de Shakespeare et du crâne brillant
qui, comme la pierre, portait des cendres par millions,
qui roulait jusqu’aux blanches côtes,
au-delà de la guerre et de la pourriture avec des éclats de rire.
Tu ne sais rien, mon frère, de la nuit,
car ton sommeil passait par les tronc fatigués
de cet automne, par le vent qui lavait tes pieds comme la neige.



Il y a un autre monde derrière les arbres

Il y a un autre monde derrière les arbres,
le fleuve m’apporte les plaintes,
le fleuve m’apporte les rêves,
le fleuve fait silence, quand je rêve le soir dans les forêts
du Nord...


Il y a un autre monde derrière les arbres,
que mon père a troqué contre deux oiseaux,
que ma mère a ramenés dans un panier,
que mon frère a perdu dans son sommeil, quand il avait sept ans
et si fatigué...


Il y a un autre monde derrière les arbres,
une herbe, qui sent le deuil, un soleil noir,
une lune des morts,
un rossignol, qui ne cesse de se plaindre
du pain et du vin
et du lait en grandes cruches
dans la nuit des prisonniers.


Il y a un autre monde derrière les arbres,
ils descendent vers les villages en longs sillons,
vers les forêts des millénaires,
et demain demandent après moi ,
après la musique de mes infirmités,
quand pourrit le blé, quand rien d’hier n’est resté,
de leurs chambres, de leurs sacristies et de leurs salles d’attente.


Je veux les abandonner. Avec personne
je ne veux plus parler,
ils m’ont trahi, le champ le sait bien, le soleil
me défendra, je le sais,
je suis venu trop tard...


Il y a un autre monde derrière les arbres,
là-bas il y a une autre fête foraine,
dans la bouilloire des paysans nagent les morts et autour des mares
fond doucement le lard des rouges squelettes,
là-bas aucune âme ne rêve plus de la roue du moulin,
et le vent ne comprend
que le vent...


Il y a un autre monde derrière les arbres,
le pays de la putréfaction, le pays
des commerçants,
laisse derrière toi un paysage de tombes,
et tu seras anéanti, tu dormiras cruellement
et boiras et dormiras
du matin au soir, du soir au matin
et plus rien tu comprendras, rien du fleuve rien du deuil ;
car derrière les arbres
demain
et derrière les collines
il y a un autre monde.

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