mardi 28 octobre 2008

Santa Evita

Eva Duarte est née le 7 mai 1919 dans un village de la campagne argentine de la région de Cordoba, Los Toldos.

Fille naturelle d'un grand propriétaire terrien, elle sera marquée profondément par le rejet que lui manifestera la famille de son géniteur à sa mort : elle ne pourra pas suivre, même de loin, la cérémonie funèbre ! Sa haine de la grande bourgeoisie a peut être vu le jour à cette occasion...

Séduite par un saltimbanque du nom d'Agustin Magaldi, elle part pour la capitale pour y devenir une actrice.
Las, la vie dans la grande ville n'est pas si simple et elle survit en jouant de ses charmes.
De riches protecteurs en amants influents, elle parvient néanmoins à faire sa place dans le spectacle puis à la radio.

Politiquement, en ce mois de juin 1943, l'Argentine vient de connaitre un coup d'Etat militaire qui a renversé le président Castillo. La junte change vite de main et le Général Farell forme un gouvernement dans lequel on remarque un certain colonel Juan Domingo Peron.

Les vues de Peron sur la conduite de l'Etat trouvent un écho dans les convictions d'Eva et elle soutient son action de ministre du travail dans ses émissions de radio.
Un soir, son riche protecteur du moment, l'emmène à une soirée de gala où le colonel doit faire un discours. Eva s'arrange pour lui être présentée : c'est le coup de foudre et ils repartent ensemble !

La popularité croissante de Peron gène les militaires : il est destitué et emprisonné. Eva va mener à la radio une vibrante campagne de mobilisation des foules pour exiger sa libération : elle obtient gain de cause en janvier 1946, juste à temps pour les élections présidentielles !
Grace, en partie, à son aide, Juan Peron l'emporte aisément au mois de juin suivant.
Sans fonction officielle, elle va devenir l'éminence grise du régime : celle qui doit porter la voix des plus démunis auprès de Peron !

Populiste, Peron nationalise de grands secteurs de l'économie, au détriment, en particuliers, des intérets anglais. La classe moyenne qui s'enrichit alors, constitue le meilleur soutient du nouveau pouvoir.
Si elle se dévoue sincèrement pour les pauvres, Eva, comme son mari, devenu Général, conçoit son action comme les dames patronnesses du XIXème siècle : il s'agit plus de colmater les plaies béantes de la misère que de s'attaquer aux réformes de fonds qui pourraient améliorer durablement la situation.
Le régime, comme tous les gouvernements "forts", doit se durcir pour faire face aux critiques des milieux intellectuels et de la grande bourgeoisie.
La corruption gangrène peu à peu les institutions. Malgré tout, la cote du couple présidentiel est au zénith dans les milieux populaires.

En 1951, alors qu'il se prépare à se faire réélire, Peron souhaite imposer Eva comme vice-présidente. Refus brutal et absolu de l'armée : Eva prend les devant et décline par avance toute fonction officielle !

Une autre raison à cela : les premiers symptômes de la maladie sont apparus ! Le cancer finira par emporter la partie : Eva Duarte de Peron, Guide spirituel de la Nation, s'éteint le 26 juillet 1952. Elle n'a que 33 ans !
Des millions d'argentins déferlent sur Buenos Aires pour l'accompagner à sa dernière demeure, un mausolée où elle repose, embaumée pour l'éternité.

Peron se maintiendra au pouvoir encore 3 ans avant d'être chassé par les militaires. Il part en exil pour 20 ans, mais le peronisme semble bel et bien mort.

En 1976, alors que l'Argentine est à nouveau secouée par un putch militaire qui renverse le gouvernement d'Isabel Peron, la 3° épouse et veuve de l'ex-dictateur, deux anglais décident de raconter l'histoire d'Eva Peron sous forme d'un spectacle musical.

Andrew Lloyd-Webber, le compositeur, et Tim Rice, librettiste et parolier, déjà auteurs à succès de "Jesus Christ Superstar", se lancent dans un pari audacieux.
Avec l'aide du producteur Cameron Macintosh, ils réalisent, pour la première fois un concept-album du spectacle avant sa présentation sur scène! Une promotion sans précédent, des deux côtés de l'Atlantique et dans toute l'Europe continentale, assure à leur show un succès phénoménal !
Le premier extrait musical entrera dans la légende : "Don't cry for me Argentina" fera le tour de la Terre !

Mais l'innovation ne se limite pas au marketing :
avec "Evita", c'est l'actualité qui entre dans le monde de la comédie musicale.
En plus du divertissement, c'est une réelle réflexion sur le pouvoir, comment il se conquiert, comment il se perd aussi. Interrogation sur la vie, les choix individuels qui influent sur la marche du Monde, l'ambition, la force des convictions et ses limites...Sur le pragmatisme politique opposé à l'idéologie !

Que dire de la musique d'Andrew Lloyd-Webber ? Mi-rock, mi-symphonique, c'est la première comédie musicale vraiment contemporaine : plus musicale que "Hair" ou "Tommy", plus rock que tout ce qui a précédé...
Entre les balades romantiques, un tango, quelques morceaux rythmés, une valse et même une sorte de cantique...toute la palette d'un savoir faire que les années vont enrichir pour faire du génial enfant de Sydmington, l'Offenbach du XXème siècle !

La scène révèlera également au monde le talent d'Elaine Paige et de Patty LuPone, tour à tour incarnation de l'héroïne, à Londres comme à Broadway.
Le spectacle enchantera les spectateurs anglais pendant plus de 9 ans et les américains pendant presque 6 ans.
Aujourd'hui, "Evita" se joue, entre autre, aux Pays Bas après une reprise couronnée de succès au printemps à Londres.

Puis, vint le film...

Sans doute la plus belle - et peut être même la seule - composition de Madonna à l'écran !
Pour de nombreux amateurs - au premier rang desquels je suis - Eva Peron a, pour toujours, les traits et la voix de la Ciconne !
Antonion Banderas s'y révèle un très bon chanteur et l'excellent Jonathan Price y reprend le rôle de Peron qu'il avait créé en 1978.
La réalisation, sophistiquée et raffinée, d'Alan Parker fait le reste pour que "Evita - le film" soit la meilleure adaptation cinématographique d'un musical de tous les temps!

Alors, Eva Peron, une garce arriviste ou une quasi sainte ?
Si Lloyd-Webber penchait pour la première, Rice, lui accordait des circonstances atténuantes et optait plutôt pour la seconde.
Finalement, le spectacle ne choisit pas et nous présente les deux facettes d'une personnalité bien de son époque, complexe sentimentalement et ambigüe éthiquement...

Oh, what a circus ! : l'annonce du décès d'Evita



"Another suitcase in another hall", les difficiles débuts d'Eva à Buenos Aires



"Waltz for Eva and Che", dialogue entre Eva et Che, personnification du peuple argentin, sorte de Choeur à l'antique, sur la politique



Et pour finir, les argentins n'étant pas rancuniers, se sont appropriés le spectacle musical conçu autour de leur icône nationale par les "ennemis héréditaires" :
voici la superbe Paloma San Basilio dans sa version, bouleversante, du célèbrissime "Don't cry for me Argentina", ici traduite "No llores por mi Argentina"

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