jeudi 17 septembre 2009

Federico et Salvador

Vert et je te veux vert.
Vent vert.
Vertes branches.

Le bateau sur la mer,
le cheval dans la montagne.
L'ombre autour de la ceinture,
elle rêve à son balcon,
chair verte,
verts cheveux
avec des yeux d'argent froid.

Vert et je te veux vert.

Dessous la lune gitane,
toutes les choses la regardent
mais elle ne peut pas les voir.


Vert et je te veux vert.
De grandes étoiles de givre

suivent le poisson de l'ombre
qui trace à l'aube son chemin.
Le figuier frotte le vent
à la grille de ses branches
et la montagne, chat rôdeur,

hérisse ses durs agaves.

Mais qui peut venir? Et par où?
Elle est là sur son balcon,
chair verte, cheveux verts,
rêvant à la mer amère.

L'ami, je voudrais changer mon cheval pour ta maison,
mon harnais pour ton miroir,
mon couteau pour ta couverture.

L'ami, voilà que je saigne depuis les cols de Cabra.
Si je le pouvais, petit, l'affaire serait déjà faite.
Mais moi je ne suis plus moi

et ma maison n'est plus la mienne.


L'ami, je voudrais mourir dans mon lit, comme tout le monde.
Un lit d'acier, si possible,
avec des draps de hollande.
Vois-tu cette plaie qui va
de ma poitrine à ma gorge?
Il y a trois cents roses brunes
sur le blanc de ta chemise.
Ton sang fume goutte à goutte
aux flanelles de ta ceinture.
Mais moi je ne suis plus moi et
ma maison n'est plus la mienne.
Laissez-moi monter au moins
jusqu'aux balustrades hautes.
De grâce, laissez-moi monter
jusqu'aux vertes balustrades.
Jusqu'aux balcons de la lune
là-bas où résonne l'eau.

Ils montent déjà, tous les deux, vers les balustrades hautes.
Laissant un sentier de sang.

Laissant un sentier de larmes.

Sur les toitures tremblaient
des lanternes de fer-blanc.
Mille tambourins de verre
déchiraient le petit jour.

Vert et je te veux vert, vent vert, vertes branches.
Ils ont monté, tous les deux.

Le vent laissait dans la bouche
un étrange goût de fiel,
de basilic et de menthe.

L'ami, dis-moi, où est-elle?

Où est-elle, ta fille amère?

Que de fois elle t'attendait!

Que de fois elle a pu t'attendre,
frais visage, cheveux noirs, à la balustrade verte!

Sur le ciel de la citerne la gitane se berçait.
Chair verte, cheveux verts
avec ses yeux d'argent froid.
Un petit glaçon de lune
la soutient par-dessus l'eau.
La nuit devint toute menue, intime comme une place.
Des gardes civils ivres morts
donnaient des coups dans la porte.

Vert et je te veux vert. Vent vert.
Vertes branches.

Le bateau sur la mer,
le cheval dans la montagne.

Les poèmes sont extraits de Romancero gitan,de Federico Garcia Lorca
Traduction de Claude Esteban

Les tableaux sont de Salvador Dali.

Pourquoi cette association ?
Un film britannique récent, réalisé par Paul Morrison, "Little Ashes", retrace la rencontre des deux "monstres sacrés" de la culture espagnole des années trente.
Et nous montre que ce qui les a unis était peut être plus que de l'amitié...

Une sensible musique signée par Miguel Mera, une photographie admirable de Adam Suschitzky, portent les deux acteurs principaux, Robert Pattinson (Dali) et Javier Beltran (Lorca), plus que convaincants dans leur interprètation.

Salvador arrive à l'école où étudient Federico et Luis (Bunuel) :



Salvador semble inspiré par la seule contemplation de Federico en train d'écrire :



Le bain de minuit de Salvador et Federico...

3 commentaires:

V à l'Ouest a dit…

Première fois que je lis ce poème en français, alors que je le connaissais presque par coeur (le début toujours bien) en espagnol.
En général assez peu sensible à la poésie dans notre langue, à quelques exceptions près bien entendu, je ne peux m'empêcher de trouver cela beau. Est-ce mon amour inconditionnel pour l'oeuvre de Lorca qui fausse mon jugement ? Trouverais-je cela réellement touchant autrement ?

Gérald a dit…

Et comme fan de Lorca que penses tu de cette histoire avec Dali ? Vérifiée ou rumeur ?

V à l'Ouest a dit…

Ils ont couché ensemble, ça c'est de notoriété publique, Dalí ne le cachait pas. Après, je n'en sais pas plus.