mercredi 13 mai 2009

Retour

Quand l’âme sortit de son corps dont quelques fibres mal éteintes vibraient encore autour d’elle, elle vagua sans pieds ni pas dans un espace sans lieu où, soudain, dans un éclair, elle rencontra l’Ame des âmes que son oreille d’hier avait entendu nommer Dieu.

Et elle s'attendit à être jugée.

L’Ame des âmes l’ allait peser avec les mêmes justes poids dont elle, humaine, s’était servie hier pour peser ses frères.Mais au lieu d’instruire sur le champs son procès, l’Ame des âmes l’interrogea comme on fait, quand il débarque, celui qui a longtemps vogué au péril de la mer.

L'âme arrivait là, défaite, transpercée de part en part par un long cri de douleur. Elle avait souffert pis que la mort sans en mourir, sans en guérir et le poignard tremblait encore dans sa plus secrète profondeur.
Tant de flèches l'avaient percée, tant de coups sourds ou brutaux l'avaient meurtrie, tant de ronces déchirée, tant d'épines harcelée et mise à sang qu'il n'y avait plus en elle place autre que de blessures. Silencieusement, goutte à goutte, devant l'Ame des âmes, elle saignait.

"Qui t'as fait tout ce mal ?" demanda l'Ame des âmes.L'âme regarda derrière elle tous ceux qu'elle avait aimés...chercha...les aima encore...les aima...ne trouva rien d'autre :
"Je ne me souviens pas", dit-elle.


Et tout à coup, elle trembla : l'Ame des âmes allait la juger.


Alors, toutes las fautes de sa vie accoururent pour l'accuser, celles que tout le monde avait vues, celles que personne ne savait...celles revomies à pleine bouche des paroles jetées et perdues au vent...celles des plus muettes pensées tapies dans un coin du coeur comme un ver dans le fruit...celles hardies, assurées qui n'avaient pas eu l'air de fautes tant elles s'étaient faites belles à voir...celles qui s'étaient traînées comme des limaces jusque sur le bord des bonnes actions...et celles-là même, les plus méchantes - jalousies, colères, révoltes - qui avaient refusé le passage à leur méchanceté...les lâches qui n'avaient pas osé faire le mal qu'elles étaient...


Toutes surgissaient de tous côtés de tous les lieux abolis, de toutes les heures oubliées et si grand était leur nombre que l'âme ne se distinguait plus sous cet amas épouvanté de crasse obscure.

Mais l'Ame des âmes resplendit et les couvrant de sa lumière :
"Je ne les vois pas", dit-elle.

Et, par sa lumière aspirée comme une goutte d'eau par le soleil, l'âme, toutes ses ombres terrestres tombées au néant derrière elle, s'abîma dans l'Ame des âmes dont la gloire alors s'accrut d'une nuance nouvelle née.


Subie, l'épreuve de la vie, offert par la chair et le sang le sacrifice humain d'aimer, l'âme remontait à sa Source, rendue au Père des pères :
l'Amour.



Marie NOEL (1883-1967)


Ce poème en prose, écrit quelques mois avant la mort de son auteur, je l'ai découvert par hasard, dans une maison en ruines, au grenier, dans un magazine catholique plein de poussière et promis aux vers...J'étais encore adolescent et pas très croyant, mais ce texte court m'a fait une très forte impression. Au point que je l'ai conservé jusqu'à ce jour et que je voudrais qu'on le lise lors de mon enterrement.

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