Diplomate -consul, secrétaire d'ambassade puis ambassadeur-, collaborateur d'Aristide Briand, il est Secrétaire Général du Quai d'Orsay de 1932 à 1940 et exerce une réelle influence sur la politique étrangère de l'époque quand bien même il désapprouve les accords de Munich.
Il passe la guerre en exil aux Etats Unis où il compose l'essentiel de son oeuvre.
En désacord idéologique avec le Général De Gaulle, il refuse de le rejoindre et même de rallier son gouvernement à la Libération.
Celui ci ne lui pardonnera jamais et s'opposera à son élection à l'Académie Française.
Il reçoit pour son oeuvre poétique le Prix Nobel de Littérature en 1960.
Mes condisciples de première m'ont maudit d'avoir suggéré à notre professeur, Madame Monique Dubanton, de présenter "Neige" (cf supra) au bac de français.
Mais ceux qui ont eu ce sujet à défendre s'en sont mieux sortis que ceux qui ont tiré un texte plus classique...
Neiges
écrit aux États-Unis, à New York, en 1944.
Et puis vinrent les neiges, les premières neiges de l'absence, sur les grands lés tissés du songe et du réel ; et toute peine remise aux hommes de mémoire, il y eut une fraîcheur de linges à nos tempes. Et ce fut au matin, sous le sel gris de l'aube, un peu avant la sixième heure, comme en un havre de fortune, un lieu de grâce et de merci où licencier l'essaim des grandes odes du silence.
Et toute la nuit, à notre insu, sous ce haut fait de plume, portant très haut vestige, et charge d'âmes, les hautes villes de pierre ponce forées d'insectes lumineux n'avaient cessé de croître et d'exceller, dans l'oubli de leur poids. Et ceux-là seuls en surent quelque chose, dont la mémoire est incertaine et le récit est aberrant. La part que prit l'esprit à ces choses insignes, nous l'ignorons. [...]
Poème à l'Étrangère
écrit aux États-Unis, à « Georgetown », Washington, en 1942.
[...] Poème à l'Étrangère ! Poème à l'Émigrée !… Chaussée de crêpe ou d'amarante entre vos hautes malles inécloses ! ô grande par le cœur et par le cri de votre race !… L'Europe saigne à vos flancs comme la Vierge du Toril. Vos souliers de bois d'or furent aux vitrines de l'Europe
et les sept glaives de vermeil de Votre Dame des Angoisses.
Les cavaleries encore sont aux églises de vos pères, humant l'astre de bronze aux grilles des autels. Et les hautes lances de Bréda montent la garde au pas des portes de famille. Mais plus d'un cœur bien né s'en fut à la canaille. Et il y avait bien à redire à cette enseigne du bonheur, sur vos golfes trop bleus,
comme le palmier d'or au fond des boîtes à cigares.
écrit aux États-Unis, à Long Beach Island, New Jersey, en 1941
À nulles rives dédiée, à nulles pages confiée la pure amorce de ce chant... D’autres saisissent dans les temples la corne peinte des autels : Ma gloire est sur les sables ! ma gloire est sur les sables !... Et ce n’est point errer, ô Pérégrin,
Que de convoiter l’aire la plus nue pour assembler aux syrtes de l’exil un grand poème né de rien, un grand poème fait de rien... Sifflez, ô frondes par le monde, chantez, ô conques sur les eaux ! J’ai fondé sur l’abîme et l’embrun et la fumée des sables. Je me coucherai dans les citernes et dans les vaisseaux creux, En tous lieux vains et fades où gît le goût de la grandeur.
Vents
Le poème Vents est publié aux éditions Gallimard en 1946. Il a été écrit en 1945 aux États-Unis à Seven Hundred Acre Island (Maine).
C’étaient de très grands vents sur toutes faces de ce monde,
De très grands vents en liesse par le monde, qui n’avaient d’aire ni de gîte,
Qui n’avaient garde ni mesure, et nous laissaient, hommes de paille,
En l’an de paille sur leur erre... Ah ! oui, de très grands vents sur toutes faces de vivants !
Et qui couraient à leur office sur nos plus grands versets d’athlètes, de poètes,
C’étaient de très grands vents en quête sur toutes pistes de ce monde,
Sur toutes choses périssables, sur toutes choses saisissables, parmi le monde entier des choses...
Amers
Ce long poème est publié chez Gallimard en 1957. Daté de « 1953-1956 », il a été composé entre 1947 et 1956 aux États-Unis et aux petites Antilles (Iles Vierges, Trinité et Tobago, Saint Kitts et Nevis).
[…]... Étroits sont les vaisseaux, étroite notre couche.
Immense l’étendue des eaux, plus vaste notre empire
Aux chambres closes du désir.
Quels étrangers nous fûmes aux fêtes de la Ville, et quel astre montant des fêtes sous-marines
S’en vint un soir, sur notre couche, flairer la couche du divin.
En vain la terre proche nous trace sa frontière. Une même vague par le monde, une même vague depuis Troie Roule sa hanche jusqu’à nous. Au très grand large loin de nous fut imprimé jadis ce souffle...
Et la rumeur un soir fut grande dans les chambres : la mort elle-même, à son de conques, ne s’y ferait point entendre !
Chronique
Édité chez Gallimard en 1960, Chronique a été composé à la presqu’île de Giens en septembre 1959.
« Grand âge, vous mentiez : route de braise et non de cendres... La face ardente et l’âme haute, à quelle outrance encore courons-nous là ? Le temps que l’an mesure n’est point mesure de nos jours. Nous n’avons point commerce avec le moindre ni le pire. Pour nous la turbulence divine à son dernier remous...
« Grand âge, nous voici sur nos routes sans bornes. Claquements du fouet sur tous les cols ! Et très haut cri sur la hauteur ! Et ce grand vent d’ailleurs à notre encontre, qui courbe l’homme sur la pierre comme l’araire sur la glèbe. [...]
OiseauxL’édition originale d’Oiseaux est publiée à Paris aux éditions Au Vent d’Arles en 1962, sous le titre l’Ordre des Oiseaux, avec des eaux-fortes originales en couleur de Georges Braque. Daté de « Washington, mars 1962 », le poème a été écrit entre 1958 et 1962.
Oiseaux, et qu’une longue affinité tient aux confins de l’homme… Les voici, pour l’action, armés comme filles de l’esprit. Les voici pour la transe et l’avant-création, plus nocturnes qu’à l’homme la grande nuit du songe clair où s’exerce la logique du songe.
Dans la maturité d’un texte immense en voie toujours de formation, ils ont mûri comme des fruits, ou mieux comme des mots : à même la sève et la substance originelle. Et bien sont-ils comme des mots sous leur charge magique : noyaux de force et d’action, foyers d’éclairs et d’émissions, portant au loin l’initiative et la prémonition.
Sur la page blanche aux marges infinies, l’espace qu’ils mesurent n’est plus qu’incantation. Ils sont, comme dans le mètre, quantités syllabiques. Et procédant, comme les mots, de lointaine ascendance, ils perdent, comme les mots, leur sens à la limite de la félicité. […]
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