lundi 1 février 2010

Le Frère de Camille

Paul Claudel, diplomate, poète et dramaturge français (1868-1955) était le frère cadet de la sculptrice Camille Claudel et le plus célèbre rejeton de la famille jusqu'au film...
La mode sévissant dans la littérature comme ailleurs, il est très difficile de trouver des extraits des pièces de Claudel sur Internet bien qu'elles soient régulièrement reprises ici ou là.
Sa poèsie est un peu plus facile à dénicher :

Poèsie :

Le Départ

_Ce n'étaient pas là vos grandes et gracieuses manières.

Vous qui n'avez de rien d'autre à vous repentir, n'avez-vous pas, mon amour,

regret de cette après-midi de juillet où vous partites avec une soudaine,
inintelligible phrase et un oeil effrayé,
pour ce voyage si long sans aucun
baiser et nul adieu?
Je savais bien cependant que vous alliez partir tout à l'heure, et nous étions assis dans les rayons du soleil déclinant,

vous me murmurant tout
bas, car votre voix était faible, ce merci qui me faisait mal.
Tout de même ç'était bon d'entendre ces choses,
et je pouvais dire ce qui
rendait vos yeux pleins d'amour une croissante ombre,
comme quand le vent
du Sud approfondit le noir feuillage.

_Et ç'était bien vos grandes et gracieuses manières

que de tourner le discours ainsi sur les choses de tous les jours,
ma chérie,
élevant pour l'éclair d'un sourire ces lumineuses, pathétiques paupières.
Tandis que je m'approchais davantage,
car vous parliez si bas que je ne pouvais à peine entendre.

Mais tout d'un coup me laisser ainsi à la fin, effaré de surprise plus que
de la perte,
avec une phrase pressée, inintelligible, et un oeil effrayé,

et partir ainsi pour votre voyage d'à jamais avec pas un seul baiser
et pas adieu,
et le seul regard sans amour celui dans lequel vous passâtes,

_Çe n'était pas du tout vos grandes et gracieuses manières.

Théâtre :

L'ANNONCE FAITE A MARIE



LE SOULIER DE SATIN



TÊTE D' OR

PREMIÈRE PARTIE

Les champs à la fin de l'hiver.
Entre, au fond, Simon Agnel, en blouse, portant sur son épaule un corps de femme et tenant une bêche. Il mesure la terre et commence à creuser une fosse.
Entre, sur le devant, Cébès, à pas lents.

Cébès. - Me voici,
Imbécile, ignorant,
Homme nouveau devant les choses inconnues,
Et je tourne la face vers l'Année et l'arche pluvieuse, j'ai plein mon cœur d'ennui !
Je ne sais rien et je ne peux rien. Que dire ? que faire ? À quoi emploierai-je ces mains qui pendent ? ces pieds qui m'emmènent comme les songes ?
Tout ce qu'on dit, et la raison des sages m'a instruit
Avec la sagesse du tambour; les livres sont ivres.
Et il n'y a rien que moi qui regarde, et il me semble
Que tout, l'air brumeux, les labours frais,
Et les arbres, et les nuées aériennes,
Me parlent avec un langage plus vague que le ia ! ia ! de la mer, disant :
" ô être jeune, nouveau ! qui es-tu ? que fais-tu ?
" Qu'attends-tu, hôte de ces heures qui ne sont ni jour ni ombre,
" Ni bœuf qui hume le sommeil, ni le laboureur attardé à notre bord gris ? "
Et je réponds : Je ne sais pas ! et je désire en moi-même
Pleurer, ou crier,
Ou rire, ou bondir et agiter les bras !
" Qui je suis ? " Des plaques de neige restent encore, et je vois la haie des branches sans nombre
Produire ses bourgeons, et l'herbe des champs,
Et les fauves brebillettes du noisetier ! et voici les doux minonnets !
Ah ! aussi que l'horrible été de l'erreur et l'effort qu'il faut s'acharner sans voir
Sur le chemin du difficile avenir
Soient oubliés ! ô choses, ici,
Je m'offre à vous !
Voyez-moi, j'ai besoin
Et je ne sais de quoi, et je pourrais crier sans fin
Comme piaule le nid des crinches tout le jour quand le père et la mère corbeaux sont morts !
Ô vent, je te bois ! ô temple des arbres ! soirée pluvieuse !
Non, en ce jour, que cette demande ne me soit pas refusée, que je forme avec l'espérance d'une bête !
Il aperçoit Simon.
Eh ! qui c'est qui creuse là-bas ?
Il s'approche de lui.
C'est-i que vous posez des drains ? Il est tard.
SIMON, se redressant. - Qui est là ? que voulez-vous ?
CÉBÈS, le regardant avec surprise. - Je ne vous connais pas.
SIMON. - Ce champ est à vous ?
CÉBÈS. - À mon père.
SIMON. - Laissez-moi y tailler ce trou.
CÉBÈS, apercevant le cadavre. - Ah !
Qui est cette femme ?
SIMON. - La mienne.
CÉBÈS. - Ah ! ah !
Qui est cette femme ? Elle est de ce pays. Je la connais. Est-elle morte ?
SIMON. - Je ne l'ai pas fait mourir.
CÉBÈS. - Ah ! ah ! ah ! ah !
Est-ce ainsi que je te retrouve ! Toute froide et mouillée ! Ô bonne pour tous,rieuse, ardente !
Est-ce toi ? ô chère !
SIMON. - Il a l'air d'être de ceux qui l'ont aimée.
- Quel est ce clocher d'ardoises, Cébès ? quel est ce pays ?
CÉBÈS. - Comment ? me connaissez-vous ?
SIMON. - Il y a des gens qui se nomment Agnel.
CÉBÈS. - Tous sont morts ou partis. Simon Agnel était plus vieux que moi. Il a disparu un jour.
C'est vous !
SIMON. - Le bouilli était las d'être mangé en rond. Ils sont morts !

Tête d'Or ( première version). Théâtre I. Gallimard, Pléiade, p. 29 - D.R.

Ecoutons enfin, Marie-Christine Barrault faisant la critique de la version très dépouillée que La Comédie Française a proposé il y a quelques années de

L'ECHANGE :

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